Trabalho & Educação | v.31 | n.2 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|29|
DOI: https://doi.org/10.35699/2238-037X.2022.41125
https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
LA FORMATION DES ASSISTANTS DE SERVICE SOCIAL CONTINUITÉ
ET DISCONTINUITÉ DANS LA TRANSMISSION DES SAVOIRS
1
The training of social service assistants continuity and discontinuity in the
transmission of knowledge
La formación de los asistentes de los servicios sociales continuidad y discontinuidad
en la transmisión del conocimiento
A formação de assistentes de serviço social continuidade e descontinuidade na
transmissão do conhecimento
REY, Claudie
2
RÉSUMÉ
Basée sur l’alternance, la formation des assistants de service social est fortement structurée par l’histoire
de la profession et par les lois. Cette continuité ne doit pas occulter les discontinuités induites par la
dialectique de lécole et du terrain et par la dissonance entre la formation et l’exercice professionnel. Ces
disjonctions peuvent être consies comme des systèmes de tension et sont intéges dans le temps
long de la pratique, au g des parcours biographiques, des échanges de savoirs entre collègues et d’un
remaniement du rapport aux savoir. Cet article est bae sur des entretiens et des observations et
montrent comment le calage entre la formation et la fonction est appréhen grâce à un ensemble
de savoirs dits ou cachés, formels ou informels.
Mots clés: Assistant Social. Formation. Savoirs.
ABSTRACT
Based on alternance, the training of social workers is strongly structured by history of the profession and
by laws. This continuity doesn’t interfere with the discontinuities induced by the dialectic of alternance
and by the dissonance between training and professional practice. These differences can be considered
as tension systems and are integrated over the long time of practice, following biographical paths and
exchanging of knowledge and soft skills between co-workers. This article is based on interviews and
observations and shows how the gap between training and function is understood through a set of so-
called or hidden, formal or informal knowledge.
Keywords: Social Worker. Training. Knowledge.
RESUMEN
Basada en la alternancia, la formación de los asistentes de servicio social está fuertemente estructurada
por la historia de la profesión y por las leyes. Esta continuidad no debe ocultar las discontinuidades
inducidas por la dialéctica de la escuela y del terreno y por la disonancia entre la formación y el ejercicio
profesional. Estas disyunciones pueden considerarse como sistemas de tensión y se integran en el
largo tiempo de la pctica, según los recorridos biográficos, los intercambios de saberes entre colegas
y una revisión de la relación con los conocimientos. Este artículo se basa en entrevistas y observaciones
1
O presente artigo é inédito, por isso encontra-se publicado em seu idioma original francês conforme proposta de internacionalização
de Trabalho &Educação, no contexto da qual busca-se a interlocução crítica com autores e correntes de pensamento e pesquisa de fora do
Brasil que tenham por objeto de investigação temas e problemas característicos da área Trabalho e Educação.
2
Université de Tours, CITERES UMR 7327. claudie.rey@univ-tours.fr .
Trabalho & Educação | v.31 | n.1 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|30|
y muestra mo la brecha entre la formación y la función se entiende a tras de un conjunto de
conocimientos, tanto formales como informales.
Palabras clave: Trabajador Social. Capacitacn. Conocimiento.
RESUMO
Baseada na alterncia, a formão dos assistentes de serviço social é rigorosamente estruturada pela
história da profissão e pelas leis. Esta continuidade o deve ocultar as descontinuidades induzidas
pela dialética entre a escola e a área e a pela dissonância entre a formação e o exercio profissional.
Essas disjunções podem ser consideradas como sistemas de tensão e o integradas no longo tempo
da prática, em cada grau dos percursos biogficos, das trocas de saberes da experiência entre colegas
e de uma reelaboração da relão com o saber. Este artigo se baseia em entrevistas e observões,
mostra-se como o desengate entre a formação e a fuão é apreendida graças a um conjunto de
saberes explícitos ou ocultos, formais ou informais.
Palavras-chave: Assistente Social. Formação. Saberes.
INTRODUCTION
Le métier d’assistant de service social est à la fois très connu etconnu. Très connu,
lorsque les médias transforment un drame de la protection de lenfance en fait divers ou
lorsquun diplômé de lintervention sociale est mortellement agressé par un usager. Cette
profession est génératrice d'émotions et d’opinions certes compréhensibles mais qui
masquent en partie la réalitéde lintérieur du métier. Cet article propose danalyser les
parcours des assistants sociaux diplômés, allant de l'école de service social à la pratique
sur le terrain. La continuité se situe dans l'intériorisation dune identité professionnelle
fondée sur un diplôme d'État, sur des techniques de travail individuel et collectif, sur
l'existence dune association professionnelle puissante
3
, sur la reconnaissance dun code
de déontologie
4
et sur lobligation légale de respecter la confidentialité
5
et le secret
professionnel.
Les écoles de service social se sont mises en place en France au début du XXe siècle
six écoles ont été créées entre 1900 et 1913 et le Diplôme d’État dassistant de service
social (DEASS) a été légalement validé en 1932 (Pascal, 2014). Les écoles ont le plus
souvent été dirigées par des assistantes sociales et portent, dès leur origine, la marque
du terrain et des savoir expérientiels.
Six écoles dassistantes sociales la profession était alors exclusivement féminine
fonctionnent en 1927 à Paris et à Strasbourg
6
. Les six écoles portent des idéologies
3
LANAS (Association Nationale des Assistants de Service social) a é créée en 1945 et a élaboré deux codes de déontologie, en 1949
puis en 1981.
4
Dans son Titre 1 sur les principes et les devoirs des assistants de service social, le code de déontologie insiste sur le respect « de la dignité
de la personne », sur le devoir de « non-discrimination », sur la confidentialité, sur le respect du secret professionnel, sur la protection des
données nominatives, sur le respect des personnes et de leur vie privée, sur la défense de lindépendance et de la liberté des assistants de
service social.
5
Larticle 3 du code de déontologie précise : « L'établissement d'une relation professionnelle basée sur la confiance fait de l'Assistant de
Service Social un " confident nécessaire " reconnu comme tel par la jurisprudence et la doctrine. »
6
Ces six écoles pionnières sont les suivantes :
lÉcole dapplication du service social, annexée à la Maison-école dinfirmières privées, au 66 rue Vercingétorix à Paris (14earr.) ;
lÉcole daction familiale, 92 rue du Moulin Vert à Paris (14e arr.) ;
lENS, au 56 rue du Docteur-Blanche à Paris (16earr.) ;
lÉcole pratique de service social, 139 boulevard du Montparnasse à Paris (14earr.) ;
lÉcole de lAssociation des surintendantes au 19 rue Darceau à Paris (14earr.) ;
Trabalho & Educação | v.31 | n.2 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|31|
différentes (et entretiennent notamment des rapports différents avec le catholicisme et la
charité). Elles ne recrutent pas des jeunes filles issues de milieux homogènes, les jeunes
filles de laristocratie ne se langeant pas aisément avec les jeunes filles venant de
milieux bourgeois, les parisiennes tenant leurs distances avec les provinciales. Les
directrices des écoles dassistantes sociales ont toutes de fortes personnalités mais ne
sentendent pas nécessairement. De plus elles ont des conceptions différentes de la
place de la femme dans la société, de la pauvreté, du type daide à apporter (charité par
le don ou émancipation des classes populaires par laide sociale). Malgré ces
divergences, toutes les écoles se retrouvent sur une dagogie commune : lalternance.
Pascal Henri cite ainsi le discours de Madame Fuster, formatrice à lÉcole daction
familiale, et qui, dès 1937, insiste sur la distinction entre les écoles dassistante sociale et
les universités. Ce que nous appellerions aujourdhui la professionnalisation des études
et le désir de transmettre des savoirs applicables sont au cœur de son argumentation:
On a beaucoup discuté sur ce point. À quoi bon des écoles sociales?, a-t-on dit. Pour toutes
les connaissances à acquérir, les universités sont là. Sans doute on enseigne dans nos
écoles sociales bien des matières professées dans les universités. Mais nos élèves ne sont
pas des étudiants de Faculté. Leur but nest pas dacquérir des connaissances en droit, en
économie politique, en hygiène ou en législation dassistance, mais bien déclairer et de
résoudre, par le moyen de ces connaissances, les problèmes qui se posent devant elles.
Aussi tout lenseignement qui leur est donné lest-il en fonction du service social
7
.
Si, en France, le rapport entre la théorie et la pratique a longtemps été conflictuel, les
écoles de service social ont très tôt articulé ces deux univers de savoirs. Expérimentant
une alternance qui nest pas initialement nommée ainsi, les écoles élaborent
progressivement un curriculum intégrant des connaissances académiques et valorisant
les savoirs de terrain: il ne s'agit pas d'opposer savoirs professionnels et savoirs généraux
mais de réfléchir en permanence à leur combinaison afin de répondre aux besoins
évolutifs des populations et de construire une posture réflexive (Pascal, 2014). Le terme
de
« formation par alternance » désigne l’ensemble des formations, dont les formations par
apprentissage, dans lesquelles une part du temps, plus ou moins importante, est consacrée
aux séquences en milieu professionnel. Les formations par alternance, quelles quelles
soient, sont conçues à partir d’un principe qui mérite toujours dêtre rappe : il est possible
dapprendre par des activités en milieu professionnel. » (Lainé, A. & Mayen, P. (Dir.) (2019,
p.15.)
La formation d’assistant social se situe à un niveau « bac plus trois » ce qui place les
assistants sociaux dans la catégorie statistique des « professions intermédiaires ». Ni
managers, ni exécutants, les assistants sociaux relèvent de cette grande catégorie des
classes moyennes diplômées très représentée en France
8
. Le DEASS renvoie à la fois
lÉcole de formation sociale de Strasbourg, 5 place du Châtea (cité par Pascal Henri, 2014, p.81)
7
Cité par Birgi P. (1988), « Lacte de naissance manqué du service social. Léonie Chaptal au Conseil supérieur de lAssistance publique en
1924 », Vie sociale, n° 2-3, février-mars. 22. Plaquette du Comité dentente des écoles françaises de service social (1927).23. MmeFuster
(1937), « La formation au service social », allocution aux journées détude du Comité dentente des écoles françaises de service social, «
Quelques aspects du service social », 10 juillet. (repris dans Pascal Henri, 2014, p.81)
8
En France, le baccalauréat est le diplôme qui vient sanctionner la fin des études secondaires pour les élèves généralement âgés de 18
ans. Le baccalauréat permet lacs à lenseignement supérieur (Universi ou écoles). Les diplômes de lenseignement supérieur sont
classés selon la structure du LMD: Licence, Master, Doctorat. La licence comprend trois années détudes après le baccalauréat, le Master
correspond à bac plus cinq (cinq années détudes après le baccalauréat) et le doctorat se déroule théoriquement en trois ans après le Master
soit 8 ans après le baccalauréat (bac plus huit)
Trabalho & Educação | v.31 | n.1 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|32|
à une formation (théorique et pratique) et à une identité de tier. En France il est
impossible d’exercer le métier dassistant social si on ne possède pas le diplôme dÉtat.
Après avoir exposé les spécificités de lalternance dans les écoles de service social, cet
article montrera que le décalage inévitable (Tanguy, 1986) entre la formation et
lemploi est comblé par des dynamiques professionnelles collectives et par un rapport
socialement construit à lignorance. Enfin, cet article nommera et analysera des
compétences dialogiques qui se ploient de manière continue et implicite dans les
pratiques des assistants sociaux. La conceptualisation de lalternance et du dialogue
sappuiera sur les travaux dEdgar Morin pour qui lenjeu est de « dissocier sans
disjoindre », sans segmenter les savoirs mais en cherchant ce qui les relie (Morin, 2014).
NOTRE MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
Professionnellement, nous avons tous les deux un long parcours dans le champ du travail
social, et ceci sous différents statuts:
- assistant social
- formateur en travail social
- sociologue en recherche et recherche-action
- présidente de jury de Diplôme d’État en travail social
Lensemble de ces expériences nous ont permis de saisir à la fois le travail en action et
den comprendre les normes, obligations de formation, lois qui régissent lexercice du
métier d’assistant social. Comprendre (la pratique du métier) et expliquer (les règles du
métier) constituent un système de regards croisés qui guident notre démarche de
recherche et lécriture de cet article.
Nous avons tous les deux travaillé en protection de lenfance (15 ans pour lun en tant
quassistant social, 5 ans pour lautre en tant que sociologue dans le cadre dune
recherche-action). Nous sommes tous les deux sociologues (lun est ingénieur social, et
lautre est universitaire) et avons des profils complémentaires. Dans le cadre de
nosrecherches, nous avons exploité des terrains dans le champ du handicap (deux ans),
de laddictologie (deux ans), de linsertion des jeunes désaffiliés (dix ans). À lexception
de la vieillesse et de situations très scifique de lenfance tel que lautisme, nous avons
« couvert » soit par nos activités professionnelles, soit par nos recherches lensemble des
secteurs dentifiés par Marc Fourdrignier:
Les quatre domaines sont: le développement social et local; c’est aussi celui de linsertion
sous toutes ses formes quil s’agisse des jeunes, des moins jeunes, des bénéficiaires [de
minima sociaux]Cest également celui de laccueil sous toutes ses formes et, en particulier,
de laccueil durgence des personnes sans domicile ou sans papiers ; cest enfin toutes les
formes de dépendance quelle quen soit l’origine (p. 93 et 94).
Nous avons travaillé par entretiens et observations. Les observations ont été riches et
indispensables car les assistants sociaux, liés légalement par le secret professionnel et
très attachés à cette dimension de leur métier, ont des difficultés à évoquer « la chair de
leur travail » dans le cadre dentretiens formels et a fortiori enregistrés. Nous totalisons
plusieurs années dobservation, parfois sur des semaines entières. Lessentiel est ce qui
ne se dit pas
Trabalho & Educação | v.31 | n.2 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|33|
Ce qui se joue dans le quotidien du métier, les interactions entre collègues, les réunions
ont été des sources dinformations précieuses pour nous. Sur nos terrains, nous avons
en permanence eu le sentiment dêtre sur un fil du rasoir thodologique, à la fois
proches et éloignés de lobjet, « de près et de loin » pour reprendre un titre de Didier
Éribon. La posture préconisée par Norbert Élias nous a guidés. Si vous souhaitions
appréhender les différentes facettes du tier dassistant social et saisir lécart entre
lofficiel et lofficieux, entre le déclaratif et les pratiques, il nous fallait multiplier les angles
d'analyse et prendre en compte une diversité de points de vue. Il convenait de croiser les
perspectives et nous interroger sur le jeu des regards croisés en regardant le tier
dassistant social de lintérieur (et cest tout lapport de limmersion et de la recherche-
action) et en lanalysant de lextérieur (par ses réglementations, ses normes, sa
formation): «Il est impossible de bien comprendre la structure d'une société si on ne sait
pas la regarder à la fois dans notre perspective (en parlant d'elle à la troisième personne)
et dans sa perspective (en écoutant ses membres parler d'elle à la première personne).»
(Élias, 1985, p.39).
Enfin, lune dentre nous a siégé dans des jurys de DEIS (Diplôme dÉtat dingénierie
sociale) et a présidé le jury de DEASS. Ces jurys réunissent systématiquement des
professionnels et des universitaires et de mesurer les écarts parfois conflictuels entre
les deux cultures professionnelles. Le jury de DEASS a, de plus, réuni des représentants
de différentes écoles dassistants de service social et nous avons constaté que, même
très encadrées par les textes législatifs, ces écoles possèdent des fonctionnements et
ressources pédagogiques différents. Dun champ du travail social à lautre (protection de
lenfance, addictologie, insertion handicap), dune école à lautre, la culture
professionnelle des assistants sociaux prend des allures kaléidoscopiques qui viennent
stimuler notre réflexion sur lalternance.
L’ALTERNANCE DANS LES FORMATIONS DASSISTANTS DE SERVICE SOCIAL
En France, les professions du social se constituent à la fin du XIXe siècle et au début du
XXe siècle. Les assistantes sociales toutes des femmes au commencement de la
profession sinspirent du catholicisme social, des dames de charité mais également du
militantisme politique. De nombreuses femmes de familles traditionnalistes notamment
de laristocratie catholique choisissent ce métier pour servir leurs valeurs mais
également pour échapper aux mariages arrangés par les familles. A défaut dêtre toujours
instruites, ces femmes sont éduquées et sensibles à la misère des autres. Très tôt dans
leurs activités, elles comprennent que les bons sentiments ne suffisent pas et quelles ont
besoin dune plus grande technicité pour venir en aide aux plus vulnérables. Elles écrivent
dans des revues, elles organisent des cours et conférences qui se structurent ensuite en
école puis donnent lieu à un diplôme. Dès le début, les stages font partie de la formation
et de la certification. Le métier dassistant social se constitue à partir de la reconnaissance
précoce du diplôme (en 1932), de la reconnaissance de ce diplôme comme diplôme
dÉtat, de lexistence dassociations et collectifs actifs, de la capacité par la profession à
produire ses propres écrits de réflexion sur un métier. Lautre grande caractéristique est
lalternance comme passage formatif obligatoire. À ce titre il est possible de dire
quassistant social est à la fois un métier, une profession, une alternance, un rapport au
savoir spécifique.
Comme dautres métiers du care, les assistants sociaux sont incis au cours de leur
formation à « prendre du recul ». Nos observations ne peuvent que valider cette posture
Trabalho & Educação | v.31 | n.1 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|34|
tant les situations vécues par les assistants sociaux sont lourdes de drames et
démotions.
Lalternance se présente alors comme un moyen de prendre du recul:
« Prendre du recul ne va pas de soi, mais cela peut et doit sapprendre. Apprendre à prendre
du recul nécessite de construire des références (pour sy référer) :
- Des références expérientielles: plus un élève aura vécu des expériences diversifiées, plus
il pourra mettre en évidence la diversité et la variabilité des situations et des pratiques, et plus
il disposera de repères pour aborder les situations nouvelles, et pourra aussi sortir des
schémas de pensée enfermants. Enfin, plus il pourra comparer les pratiques entre elles, plus
il se construira des repères pour analyser des situations.
- Des références théoriques : des savoirs, des repères, des formes et méthodes de
raisonnement, des éléments de compréhension qui donnent du sens aux pratiques mises
en œuvre. Ces références permettent dargumenter le choix de certaines pratiques (Pourquoi
tel professionnel agit-il de telle manière ? Pourquoi un autre agit-il dune autre manière ?...).
Apprendre à prendre du recul, cest aussi entrainer les élèves à penser et réfléchir.
- Cest s’entrainer à comparer des pratiques entre elles. La comparaison est une activité
cognitive essentielle dans le développement des capacités intellectuelles et des capacités de
raisonnement professionnel. Elle conduit à reconsidérer et repenser chacune des
expériences à la lumière des différences et des ressemblances perçues et réfléchies entre
les situations et les pratiques. Elle entraine une prise de conscience et une meilleure
compréhension des situations, des phénomènes en jeu, des types de pratiques. Elle
relativise les choix daction et ouvre à des capacités plus grandes pour imaginer dautres
possibles.
- Cest sentrainer à étudier les stratégies déployées par les professionnels pour les analyser,
au regard des références produites, des savoirs, pour interpeller ce que lon fait et le
confronter à dautres actions possibles, pour interroger des évidences et situer des choix
professionnels. Cela permet également didentifier des buts imbriqués et de questionner ces
buts au regard de la pratique, puis de questionner la pratique au regard des emboitements
de buts. Ces niveaux de questionnements sont nécessaires pour situer des gestes
professionnels et des métiers et pour apprendre à sadapter au sein dune société et d’un
environnement en évolution. » (Lainé, A. & Mayen, P. (Dir.) (2019), p.104).
La prise de recul est également un moyen de résister aux pressions émotionnelles dun
métier difficile, historiquement pensé sur le modèle de la vocation. L’implication dans la
relation d’aide anime le métier dassistant social. Cependant la prise de recul est
nécessaire pour trouver la bonne distance vis-à-vis de la souffrance dautrui et de
situations douloureuses et difficiles. On ne peut aider quen séloignant : lapprentissage
de la prise de recul se fait par la partage en équipe, par la réflexivité, par la formation, par
linvestissement dautres sphères que la sphère professionnelle (familiale et associative
notamment). La prise de recul participe de la définition de lactivité au sens de Kant
« Tätigkeit », une activité dont Yves Schwartz souligne les ressorts cachés. Il existe en
effet un « art caché » dans la pratique intellectuelle et sensible des assistants sociaux :
Kant associe à un processus dynamique, se mouvant entre deux facultés absolument
hétérogènes, dont la cooration est pourtant absolument nécessaire pour produire une
connaissance dans le monde des phénomènes. De plus, dans le chapitre de la Première
Critique dédié au schématisme de la Raison Pure, ce « travail », cette Tätigkeit est appelée
« un art caché dans les profondeurs de lesprit humain » : nous ne pouvons pas utiliser nos
pouvoirs de connaître pour décrire avec précision ce qui les rend possible, cette possibilité
est au-delà deux. Nous ne pouvons pas utiliser un seul pouvoir pour comprendre ce qui rend
possible leur coopération entre eux. Lactivité apparaît comme étant et cela représentera
Trabalho & Educação | v.31 | n.2 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|35|
une instruction importante pour nos problèmes ergologiques actuels un art de transgression
de nos facultés; et pour cela, une notion sujette à rester en partie énigmatique.
9
En ce sens, la compétence à acqrir est celle d’une capacité professionnelle à mobiliser
lusager comme sujet pour lancrer, le soutenir, prospecter avec lui les sorties possibles
dans lhorizon de la situation où il se trouve. Métier impossible ? Métier en partie
énigmatique plutôt.
LE CURRICULUM DES ÉCOLES DE SERVICE SOCIAL, ENTRE SPÉCIALISATION ET
PLURIDISCIPLINARITÉ
Pour traiter la question des programmes de formation dans les écoles de service social,
nous nous référons au cadre théorique de la sociologie du curriculum ou sociologie des
curricula. Le principal auteur francophone (Forquin, 2008) dans ce domaine sest appuyé
sur la sociologie de léducation britannique pour expliquer que tout programme de
formation est une sélection sociale dans un vaste champ de savoirs disponibles. Les
contenus d'enseignement résultent d’un processus déterminé par des contraintes
culturelles, politiques et sociales (Mangez, 2008). Nous retiendrons également des
travaux de Jean-Claude Forquin que la transmission, indissociablement sociale et
académique, est au cœur de tout programme scolaire. Cette notion de transmission à
lécole, dans le passage de lécole à l'exercice professionnel, entre collègues est
centrale dans notre démarche de recherche. Analysant, avec beaucoup de finesse et de
nuances, les travaux de Jean-Claude Forquin, Georges Vigarello nous propose un
définition polymorphe du curriculum:
Le curriculum comme parcours éducationnel, ou comme parcours prescrit, ce qui n'est pas
exactement la même chose, ou encore comme mise en œuvre de ce qui est fait, ce qui n'est
plus nécessairement en rapport avec le prescrit, ou encore comme ce qui est réalisé sans
que cela soit nécessairement prescrit ou attendu, c'est-à-dire cette fameuse notion à mon
sens très intéressante de curriculum caché. (Vigarello, 2001, p.16).
La définition de Georges Vigarello soutient efficacement notre regard sur les études
dassistant de service social qui contiennent une dimension très normative (notamment
sur la connaissance du droit et sur léducation des enfants) mais qui ne peuvent dénier la
nécessité dadapter les savoirs généraux aux situations particulières des usagers. Les
études de situations, les exploitations pédagogiques en écoles des retours de stage,
linjonction de rédiger un mémoire de fin détudes qui soit à la fois professionnel et ancré
dans les disciplines universitaires (sociologie, psychologie, sciences de léducation, droit)
sont là pour en témoigner.
Les études dassistant de service social se déroulent sur trois années et reposent sur une
alternance de cours en centre de formation et de stages sur le terrain. Selon larrêté du
22 aout 2018 relatif au Diplôme dÉtat dassistant de service social, le cursus comprend
1740 heures de théorie (dont 450 de travaux pratiques) et 1820 heures de stage réparties
sur trois ans. Quatre domaines de certification sont identifiés: intervention professionnelle
en travail social; analyse des questions sociales et de l'intervention professionnelle en
travail social ; communication professionnelle en travail social ; dynamiques
interinstitutionnelles, partenariats et réseaux. La place centrale de la formation pratique
9
Schwartz Yves, « Un bref aperçu de lhistoire culturelle du concept dactivité », Activités [En ligne], 4-2 | octobre 2007, mis en ligne le15
octobre 2007, pp.122-133: 126.
Trabalho & Educação | v.31 | n.1 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|36|
est soulignée à plusieurs reprises dans larrêté. Dès larticle 4, elle est traduite en nombre
de semaines:
Pour les candidats effectuant la totali de la formation, la due obligatoire de la formation
pratique est de 52 semaines (1 820 heures). Elle se déroule comme suit:
- Une première période de formation pratique d'au moins 8 semaines est suivie au cours des
deux premiers semestres. Elle peut se dérouler sur deux sites qualifiants. La totali de cette
formation pratique est effectuée aups d'un référent titulaire du diplôme d'Etat d'assistant de
service social;
- Les deuxième et troisme périodes de formation pratique sont d'une durée totale de 44
semaines. Elles peuvent se dérouler sur deux ou trois sites qualifiants. Ces deux périodes de
formation portent de façon équivalente sur l'accompagnement individuel et l'intervention
sociale d'intérêt collectif. La formation pratique portant sur l'accompagnement individuel
s'effectue obligatoirement aups d'un rérent professionnel titulaire du diplôme d'Etat
d'assistant de service social.»
La délivrance du DEASS est soumise à différentes épreuves qui croisent la théorie et la
pratique et qui sont précies dans larticle 8 de larrêté du 22 août 2018. Si le mémoire est
important, voire décisif, pour lobtention du diplôme, il est très difrent dun mémoire de
Licence ou de Master.
«Le référentiel de certification est composé des quatre domaines de certification () Ces
épreuves comprennent:
Domaine de certification 1 - Intervention professionnelle en travail social:
- 1re épreuve: Présentation d'une intervention sociale individuelle ou collective issue de la
période de formation pratique de 2e année ;
- 2e épreuve: Présentation d'une intervention sociale individuelle ou collective issue de la
période de formation pratique de 3e année.
Les présentations et soutenance devront obligatoirement permettre d'apprécier chacun des
deux modes d'intervention.
Domaine de certification 2 - Analyse des questions sociales et de l'intervention
professionnelle en travail social:
- 1re épreuve de certification : Psentation d'un diagnostic social territorial ;
- 2e épreuve de certification: moire de pratique professionnelle.
Domaine de certification 3 - Communication professionnelle en travail social:
- 1re épreuve de certification: Elaboration d'une communication professionnelle;
- 2e épreuve de certification: Etude de situation. Domaine de certification 4 - Dynamiques
interinstitutionnelles, partenariats et réseaux:
- 1re épreuve: Analyse d'une situation partenariale;
- 2e épreuve: Contrôle de connaissances sur les politiques sociales. Chaque domaine de
certification est validé séparément. Pour valider chacun des domaines, le candidat doit
obtenir une note moyenne d'au moins 10 sur 20 pour ce domaine.»
Les épreuves du DEASS comprennent notamment des examens écrits et oraux sur
lintervention individuelle et lintervention collective, la rédaction dun moire,
undiagnostic territorial, lanalyse dune situation professionnelle. La mobilisation des
terrains de stage est importante et fait continûment lobjet dune analyse réflexive. La
production d’un mémoire respectant les méthodes de la recherche universitaire en
sciences humaines articule les données de terrain et leur problématisation.
Au regard du curriculum, l'alternance se situe au cœur d'une transition et fait fonction de
liaison entre la théorie et la pratique, entre l'école et le monde professionnel. Elle suppose
la remise en cause de catégories logiques et de systèmes de classement cloisonnés. Elle
est solidaire de représentations qui valorisent un fonctionnement social complexe travaillé
par une multitude d'interactions et d'interdépendances. En agissant sur le système de
classement des savoirs, lalternance participe à la construction des positions sociales et
professionnelles. Paradoxalement, pour le métier d'assistant de service social dont on a
dit quil était collectivement et institutionnellement très étayé, la discontinuité de
Trabalho & Educação | v.31 | n.2 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|37|
lalternance crée une intégri de lidentité professionnelle et, par répercussion, une forme
de continui. L’enjeu est d’apprendre et travailler, dapprendre pour travailler, de travailler
pour apprendre (Pineau, 2000).
Le curriculum, qui a été modifié en 2018, permet aujourd’hui aux assistants sociaux
davoir un niveau de Licence : ce niveau de bac + 3 leur permet notamment de poser leur
candidature à des Masters de niveau bac + 5. Il reflète également des évolutions
majeures du métier d’assistants sociaux. Si la figure des dames de charité ou des dames
patronnesses constitue, consciemment ou non, un repère historique du métier, les
attentes institutionnelles traduisent des exigences plus fortes:
Prendre en compte non pas une situation mais une trajectoire, ce nest pas seulement
apporter une réponse plus rapide et plus automatique à la situation actuelle de l’individu.
Celle-ci doit être aussi mieux ajustée. () Ainsi, la mise en place de « parcours attentionnés »
favorise des services plus adaptés aux besoins des bénéficiaires à des moments ou des
périodes où ils sont plus expos aux risques sociaux: séparation, naissance,
chômage. (Mazauric, 2020, p.3)
Cette analyse, ciblée sur la Caisse d’Allocations Familiales, illustre pertinemment les
demandes faites par les institutions à légard des assistants sociaux. Il sagit maintenant
de construire des parcours dusagers, construits en fonction de chaque situation, et
prenant en compte toutes les difficultés rencontrées par la personne. Ainsi, une personne
qui est suivie en addictologie sera également aidée pour laccès aux droits (sécurité
sociale, minima sociaux) et pour le logement.
LES FORMATIONS DASSISTANT DE SERVICE SOCIAL: ENTRE SALLE DE COURS ET
TERRAIN. LA GESTION DE LENTRE-DEUX
Entre deux périodes de stage, lélève revient régulièrement dans son école pour y
recevoir des cours académiques ou pour questionner ses expériences de stage avec les
enseignants de lécole. Structurée par des allers et retours entre lécole et les terrains de
stage successifs, lalternance nest pas seulement conçue comme un rapprochement
entre les différentes catégories de savoirs (Geay, 1998): elle tire sa fonction formative de
la confrontation et du dialogue entre plusieurs types de situations et dexpériences.
Ainsi dans la rencontre entre un sujet et un dispositif de formation, au travers dun processus
dappropriation, délaborent conjointement une représentation du contexte et une
autoconstruction en contexte. Les sujets en formation développent une activité mentale qui
ne peut être résumée à ce que le dispositif est cen mobiliser chez eux, et des projets qui
ne peuvent être restreints aux compétences visées par le programme. (Zaouani-Denoux,
2011, p. 61).
Les savoirs mobilisés dans lexercice du métier ne peuvent se réduire aux seuls savoirs
techniques. Ils relèvent également du « savoir-y-faire », cette capacité quasi
indéfinissable qui permet d’écouter, de convaincre, de réconforter, dapporter de la
compassion sans se détruire psychologiquement.
On peut identifier deux grands types de savoirs possédés par les assistants sociaux, le
savoir procédural et le savoir pratique. Le premier résulte dune rationalisation du travail
en une succession dactes et de normes de travail. Ce savoir formel et codifié passe par
lexplication et largumentation. Il se transmet principalement dans les écoles de service
Trabalho & Educação | v.31 | n.1 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|38|
social. Le savoir pratique, pour sa part, permet ladaptation des connaissances formelles
à la variété et la singulari des situations particulières. Les assistants sociaux disent
fréquemment que « chaque cas est particulier », « qu’il n’y a pas de recette » et quils
peuvent encore être surpris après 10 ou 20 ans de métier. Lintelligence pratique quils
mettent en œuvre permet daffronter les imprévus, en fonction des éléments perçus,
ressentis et, parfois, devinés. Cette intelligence pratique est à la « mètis grecque »
(Détienne, Vernant, 1974) définie « comme lintelligence rusée, lintelligence pratique,
lastuce adaptée et efficace ».
La mise en œuvre de la tis interroge la relation du général au particulier, de lindividu
au collectif. Le savoir pratique est le résultat de lexpérience de lindividu. Il se constitue à
travers la succession des expériences particulières. Il est le fruit des différents modes de
socialisation liés à lactivité professionnelle. Lacquisition des savoirs pratiques est
indissociable de celle des savoir-vivre, cest-à-dire la connaissance et la maîtrise des
relations sociales. Ce collectif est producteur dun savoir qui ne peut se réduire à la
somme des savoirs individuels. Il est le résultat de lexpérience collective, tant dans la
mise en œuvre dune technique que dans la pratique sociale. Il sinscrit dans lhistoire et
la tradition du groupe.
Le rôle formateur tant de lexpérience vécue que de sa verbalisation a posteriori est
ressorti de façon manifeste dans les discours des référents professionnels, des élèves,
des assistants sociaux en activité. Lalternance crée dans un même temps de l'unité et
de la diversité, du lien social et de la différence.
Le fonctionnement des écoles de service social se rapproche dun ensemble danalyses
portant sur les formations en alternance:
Notre analyse de linstitutionnalisation du rapprochement économie/éducation s’appuie sur
une approche en termes de négociations constituantes qui met laccent sur les échanges et
processus sociaux à lœuvre dans la construction des modalités ou des instances de
rapprochement. Lobjet détude est le travail social des acteurs visant à créer, mobiliser et
stabiliser des formes ou des conventions qui établissent des correspondances ou des
passerelles entre les deux univers. La visée est de saisir la dynamique des liaisons dans leur
morphologie et leur portée (Doray & Maroy, 2001, 52-53).
Lattention portée aux liaisons amène, sur un plan épistémologique, à prendre en
considération « les entre-deux, les liaisons déléments non seulement hétérogènes mais
aussi de niveaux différents, les boucles étranges, les hiérarchies enchevêtrées, en un
mot la complexité. » (Pineau, 2005, 112). La construction des « correspondances » ou
des « passerelles », la compréhension des « entre-deux » requièrent, de la part des
élèves assistants sociaux, des savoir-faire qui permettent de confronter, coordonner,
synthétiser des logiques d’actions différenciées. Lalternance peut alors être pensée
comme une pédagogie de la rencontre, par laquelle les relations (entre des univers, des
catégories de savoirs, des acteurs) sont formatrices.
La notion de rencontre ne guide pas seulement les pratiques pédagogiques. Elle participe
au positionnement symbolique des acteurs, cette dimension étant constitutive de
lalternance et de lengagement de chacun dans le processus alternant:
La construction des relations est dès lors susceptible de conduire à des changements dans
les définitions de soi, dans les représentations des partenaires (école ou entreprise) et
favoriser des inflexions des relations elles-mêmes, qu’il s’agisse de relations professeurs/
entrepreneurs ou professeurs/élèves. Pour les distinguer des ajustements organisationnels,
nous qualifions ces processus de symboliques. Nous entendons donc par symbolique la
Trabalho & Educação | v.31 | n.2 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|39|
façon dont les acteurs greffent un engagement dans laction sur un système de sens et de
représentations. (Doray & Maroy, 2001, 54).
LE RÔLE DU RÉFÉRENT PROFESSIONNEL COMME ACTEUR DINTERFACE
Le référent professionnel (ou plus communément « moniteur de stage ») est un acteur-
clé de ce processus de rencontre, de gestion des tensions et de lalternance constituante.
Il enseigne le faire en même temps que le savoir. Il institue également une relation
pédagogique spécifique marquée par une forte technicité, à linterface de différents
mondes (Brochier, 1992).
Le référent professionnel est également conduit à expliquer et verbaliser ses actes en
prenant conscience des « savoirs enfouis derrière sa pratique » (Vanderpotte, 1992, 22)
Le regard porté sur l'expérience se modifie: la pratique devient objet de discours, elle est
le support et la condition du dialogue. Souvent secret et particulier, consistant en astuces
et en intelligence rusée (Detienne & Vernant, 1974), le savoir pratique se prêterait, par
laccueil dun stagiaire, à un travail d'explicitation. Cependant, les travaux sur lalternance
(Charlot, 1974; Lenoir, 1993; Fourdignier, 2012) incitent à garder une réserve face à cette
entrée du savoir pratique dans la sphère du discours. Ajusté aux « mini-variations » de la
pratique, le savoir mis en œuvre sur le terrain se dérobe en partie aux tentatives de
formalisation car, selon Bernard Charlot, « il y aura toujours quelque chose de l'ordre d'un
résidu non énonçable ». Ce « résidu non énonçable » est perceptible dans nos entretiens
et observations.
«On ne peut pas généraliser, toutes les situations sont particulières. On ne peut pas
mettre les gens dans des cases. » (Yasmine, quinze ans dexrience)
«Ce qui compte cest l'humain.» (Chloé, élève assistante de service social en troisième
année).
La construction du regard que porte le stagiaire sur son référent est un temps fort de
lapprentissage, de la comparaison des pratiques et des situations. Lalternance permet
de:
«sentrainer à étudier les stratégies déployées par les professionnels pour les analyser, au
regard des références produites, des savoirs, pour interpeller ce que l‘on fait et le confronter
à dautres actions possibles, pour interroger des évidences et situer des choix professionnels.
Cela permet également d’identifier des buts imbriqués et de questionner ces buts au regard
de la pratique, puis de questionner la pratique au regard des emboitements de buts. Ces
niveaux de questionnements sont nécessaires pour situer des gestes professionnels et des
et des métiers et pour apprendre à sadapter au sein d’une société et d’un environnement en
évolution.» (Lainé, A. & Mayen, P. (Dir.) (2019), p.104).
La relation pédagogique entre le référent professionnel et le stagiaire est vécue de part et
dautre comme une relation singulière. Lorsque laccord interpersonnel se fait, le référent
est construit par le stagiaire comme une figure didentification. « Le savoir sacquiert par
la connaissance de celui qui le transmet et par lidentification à cette personne » (Delbos
& Jorion, 1990, 107). Le stagiaire ne réplique pas seulement des gestes techniques. Il
adopte des postures, des types de langage et il arrive quil demande aide ou conseil à
son référent pour un problème d’ordre privé.
La période de stage est unsensible biographique car léchec de lapprentissage ou de
la relation avec le référent met en péril le devenir professionnel.
Trabalho & Educação | v.31 | n.1 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|40|
« Larrivée en stage, cest un moment de tri. Les deux premiers stages font du tri. Il y a
ceux qui passent et ceux qui n’iront pas au bout » (Rémi, vingt ans dexpérience, référent
professionnel à cinq reprises).
DISCONTINUITÉ ET CONTINUITÉ DANS LES PARCOURS PROFESSIONNELS
L’ÉCART ENTRE LÉCOLE ET LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE: DES
DISCONTINUITÉS
Parvenus à la fin de leurs études, les titulaires du DEASS n'en ont pas fini avec leur
apprentissage et doivent encore découvrir l'organisation et les règles du champ du travail
social. L'alternance est fréquemment associée à l'idée d'une initiation progressive qui se
réalise au quotidien par l'intériorisation d'un nouveau rôle : c'est le temps des découvertes
et des expériences marquantes. Lalternance servirait à atténuer le choc vécu par les
jeunes diplômés qui, sinon, passent directement de l'école au monde de lemploi.
Sil est vrai que la formation dans les écoles de service social permet une socialisation
anticipatrice (Merton, 1965) par laquelle lélève peut sy voir et se projeter dans ses
fonctions futures, les assistants sociaux en poste évoquent fréquemment ce quils
nomment « une dissonance » entre la formation et lexercice professionnel. Pour les
assistants sociaux que nous avons rencontrés, le calage entre la formation et lemploi
est renforcée par la disjonction entre idéal et pratique dun métier transformé par la
précarisation de la société et la rationalisation du travail social. Un groupe de réflexion a
même été créé dans un service de Conseil départemental pour permettre aux assistants
sociaux dobjectiver cette dissonance et d’en partager le ressenti.
Les souvenirs de lécole et des savoirs académiques sont parfois tombés dans loubli et
semblent ne plus être opératoires:
«On napprend rien à lécole, heureusement quil y a les stages. » Elisabeth, trois ans
dexpérience
«Je ne saurais plus dire ce que jai appris à lécole. » Nathalie, dix ans dexrience.
LA TRANSMISSION DES SAVOIRS ENTRE COLLÈGUES
«Tu ne sors pas de là [lécole de service social] opérationnel, tu sors de là prêt à le
devenir.» Pierre, vingt ans dexpérience.
La transmission entre collègues a été fréquemment évoquée sur nos terrains :
«Heureusement que jai débuté en étant dans le même bureau que Simone qui était en
fin de carrière.» Justine, cinq ans dexpérience.
«Valérie, cest un cœur, elle ma carrément maternée quand je suis arrivée ! » Axelle, dix
ans dexpérience.
Les assistants de service social et a fortiori les jeunes diplôs construisent un réseau
de relations sociales afin d'accumuler de l'information. Ils sélectionnent des témoins
dignes de confiance, ils apprennent à trier et synthétiser des renseignements d'origines
diverses. La confiance est, dans cette démarche, l'objet et la source d'un apprentissage.
Dans le cadre des interactions entre collègues, « ce qui se transmet ce nest pas du
Trabalho & Educação | v.31 | n.2 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|41|
savoir, cest du travail » (Delbos & Jorion, 1990, 46). Les jeunes diplômés apprennent par
observation et imprégnation, presque par frayage.
« Je me force à aller à la pause-café alors que je naime pas le café et que jaime bien
être toute seule. Mais je sais que cest un moment important. » Marie, un an dexpérience.
« Parfois jentends les collègues parler au téléphone avec les usagers et japprends des
choses en les écoutant, par exemple la tonalité de la voix, comment ils font descendre
lagressivité dun usager ou le fait de toujours sadresser aux gens en disant
"Monsieur" ou "Madame". » Elisabeth, trois ans dexpérience.
LA GESTION DE LIGNORANCE EST UNE COMPÉTENCE
Si lécole et les terrains de stage fournissent des savoirs de différents statuts (théoriques,
législatifs, techniques, relationnels), il reste que ladéquation formation-emploi est
impossible à construire (Tanguy, 1986). Dans cette perspective, le traitement de
l'ignorance participe à la définition de la qualification : il convient dapprendre à chercher
le savoir et il faut bricoler un savoir approprié à ses besoins en empruntant à des sources
diverses.
« On sait quon ne sait pas tout par contre on sait chercher où aller les informations. On
sait de tout, un petit peu ! » Rémi, vingt ans dexpérience.
Nos observations en tant que Présidente dun jury de DEASS nous ont permis de
constater que la réticence dun stagiaire à solliciter ses référents professionnels lorsquil
se sentait ignorant était évaluée comme un manque de compétence. Si les référents
professionnels considèrent comme normal et même attendu quun stagiaire ne sache
pas, ils pointent le manque de sollicitation à leur égard comme une incapacité à mobiliser
les ressources humaines de lenvironnement. Cest bien la gestion de lignorance qui est
au cœur de la socialisation professionnelle et non lignorance par elle-même. Nous avons
proposé cette hypothèse à des responsables de service social (polyvalence de secteur
en conseil départemental, protection de lenfance) qui lont validée et nous ont même
aidés à la développer : l'ignorance ou l'incertitude sont des composantes ordinaires du
métier dassistant de service social. Une nouvelle loi sur la protection de lenfance ou le
logement, une situation complexe qui nécessite une analyse pluri professionnelle sont
autant d'occasions d'acquérir de nouveaux savoirs et savoir-faire. Il nous semble, par
conséquent, pertinent dinsister sur la gestion de lignorance comme compétence.
La première étape identifiée par les assistants de service social est leur aptitude à
admettre qu’ils ne savent pas : quel partenaire solliciter pour telle situation ? Comment
interpréter une nouvelle loi ? Est-ce le moment opportun ou ont-ils les éléments suffisants
pour faire une IP (Information Préoccupante) en protection de lenfance ? Nous pourrions
multiplier les exemples qui mettent les assistants de service social dans une posture
dexploration intellectuelle. Lenjeu consiste alors à identifier les savoirs ou savoir-faire
manquant, de se reconnaître comme non sachant sans que cette démarche ne soit
perçue comme disqualifiante dun point de vue narcissique ou institutionnel. Un élève ou
un diplômé assistant de service social qui nest pas en capacité de faire ce retour sur soi
suscite une forme de méfiance de la part de ses pairs. Lesachant est celui qui sait se
reconnaître comme non sachant. Lassistant social compétent et fiable, aux yeux de ses
collègues et supérieurs, saura dire « je ne sais pas » lorsque les circonstances
professionnelles nèrent une incertitude. À linverse, nous avons pu observer une
Trabalho & Educação | v.31 | n.1 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|42|
situation où les affirmations péremptoires rétées et non étayées dun assistant de
service social provoquaient une insécurité aigue au sein de léquipe.
TENSIONS ET CONVERSATIONS
CHEMINER ENSEMBLE
Il est difficile de saisir le mouvement des savoirs. Bien qu'il ne soit pas mécaniquement
transposable à la société française, le concept allemand de Bildung peut fournir quelques
pistes de réflexions. Car la Bildung contient l'idée de mouvement et elle désigne à la fois
le processus de formation et son résultat. Elle est une formation de soi par une
confrontation au monde, aux choses, aux autres. Elle unit, sans les hiérarchiser, le
particulier et le général. Dans les romans, la Bildung est représentée comme un voyage,
un long parcours initiatique, une succession de rencontres (Goethe, 1794). Mais elle ne
se réduit pas à une accumulation d'expériences. Elle est « à la fois, dans le même temps,
une progression et un retour » (Berman, 1983, 148). Elle actualise le passé dans une
dialectique qui permet dagir dans le présent et de se projeter dans lavenir (Bachelard,
1950).
«On se procure des expériences de vie en me temps quon travaille », Pierre, vingt
ans dexpérience.
Notre inrêt pour le concept de Bildung nous a amenés à explorer les travaux de Tim
Ingold sur léducation. En effet, Tim Ingold définit le processus dapprentissage comme
une manière de converser et dobserver son environnement. Dans cette démarche
dacquisition des savoirs, il préfère le mot de « correspondance » à celui dinteraction :
Inter signifie « entre ». Cest un peu comme sil induisait lidée dun mouvement allant davant
en arrière: par exemple, si je suis en train de vous parler, je vous dis quelque chose puis vous
me pondez en retour. Ou encore, si nous sommes en train de jouer aux échecs: je bouge
une de mes pièces, puis tu bouges une des tiennes en retour. Aller-retour, aller-retour
Alors que dans le cadre dune correspondance, nous cheminons côte à côte. Lors dune
conversation par exemple, nous avançons ensemble: je parle dabord, puis vous parlez, mais
ces deux prises de parole ne sont pas des mouvements contraires, elles vont dans une
même direction. (Ingold, 2017, 158-159.).
Lalternance peut ainsi se définir en référence aux concepts de Bildung et de
conversation, car selon Tim Ingold « il nous faut penser la société comme un mouvement
longitudinal de correspondance. » (Ingold, 2017, 159) et inscrire la formation dans des
parcours biographiques croisés. Lenjeu consiste à éviter concrètement ou
métaphoriquement de se parler en face en face pour converser en cheminant côte à
côte : Tim Ingold précise que si nous nous parlons frontalement, nous navançons pas.
Lalternance inscrite dans le curriculum ainsi que les valeurs portées par le code de
déontologie des assistants de service social favorisent cet évitement de lopposition
frontale. Lapprentissage de la conversation devient alors un des principes organisateurs
du métier. Les savoirs sont acquis et mobilisés dans un cadre pluridisciplinaire qui peut
paraître superficiel pour certains de nos enqtés (« On survole un peu tout », Garance,
dix ans dexpérience) mais qui parlent d’ouverture sur le monde et dapprentissage grâce
à lenvironnement Ou, pour le dire autrement: « Lexpérience est une socialisation »
(Delbos & Jorion, 1990, 34).
Trabalho & Educação | v.31 | n.2 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|43|
L’ÉDUCATION DE LATTENTION
Tim Ingold plaide en faveur dune forme déducation qui consiste à « conduire au dehors
» et « accompagner vers le dehors » (Ingold, 2017, 160). Il théorise une « éducation de
lattention » par laquelle il convient dêtre attentif à son environnement et aux autres pour
apprendre. Cette attention se fait dans un rapport de correspondance. L’éducation se
trouve alors conçue comme un entrelaçage des trajectoires, une participation à la vie des
autres, au commun. Ce critère de participation au commun nest pas verbalisé ainsi dans
les écoles de service social mais est perceptible dans les domaines de compétence du
DEASS, dans les évaluations des livrets de formations et dans les délibérations des jurys
de DEASS.
Selon Tim Ingold, il existe une « écologie de lhabilité ». Pour les assistants de service
social, apprendre un ordre du monde revient à apprendre son métier et à linrioriser, à
devenir un « confident nécessaire ». Les ruptures, les désenchantements et les
discontinuités sont intégrés à la cohérence dune identité professionnelle fondée sur des
valeurs inscrites dans le temps long de lhistoire de la profession. Lart de la conversation
contribue à larticulation des différentes catégories de savoirs, à lidentification des élèves
à leurs référents professionnels et à la construction de la relation avec les usagers. Cette
façon de converser et davancer côte à côte telle que définie par Tim Ingold, nous semble
être le commun dénominateur de la profession dassistant de service social et nous
apparaît comme un constituant majeur de continuité.
CONCLUSION
Dans le cadre de nos recherches sur les assistants de service social, il s'avère que les
savoirs ne se superposent pas, ils s'entremêlent et se télescopent. Ils s'acquièrent dans
l'étendue de toute une vie qui ne se réduit pas aux expériences scolaires. Il n'est pas
possible de mettre en correspondance un type de savoirs et un lieu d'apprentissage
comme il est scientifiquement complexe dimmobiliser les savoirs dans des catégories.
L'acquisition des savoirs ne connaît pas d'étapes ni de limites fixes, elle n'est pas linéaire
et ne procède pas d'une accumulation. Chaque nouvel apprentissage réactualise les
apprentissages antérieurs. C'est pourquoi, dans un premier temps, les savoirs des
assistants de service social ont paru diffus et insaisissables. Il n'a été possible de les
appréhender qu'à partir des situations de travail et des relations avec autrui. La méthode
de lobservation participante sest révélée plus fructueuse que la réalisation, cependant
nécessaire, dentretiens formels. Là où les mots montrent une discontinuité notamment
le fossé entre la formation et la profession les actes et les relations professionnelles
mettent au jour une continuité fondée sur la conversation, lidentification aux ainés et
limprégnation. Les «boucles étranges» dont nous parle Gaston Pineau finissent la
construction identitaire et les dynamiques professionnelles des assistants de service
social.
RÉFÉRENCES
BACHELARD, Gaston. La dialectique de la durée. Paris. Presses Universitaires de France. 1950.
BERMAN, Antoine. Bildung et Bildungsroman. Le temps de la réflexion, 4, p. 141-159, 1983.
BROCHIER, Damien. Entre formation et production: le rôle clé des acteurs d'interface. Éducation permanente,
112, p. 61-67, 1992.
Trabalho & Educação | v.31 | n.1 | p.29-44 | maio-ago | 2022
|44|
CHARLOT, Bernard. L'alternance: formes traditionnelles et logiques nouvelles, Éducation permanente, 115, p. 7-
18, 1993.
DELBOS, Genevve., JORION Paul. La transmission des savoirs. Éditions de la maison des sciences de
lhomme, 1990.
DETIENNE, Marcel; VERNANT Jean-Pierre. Les ruses de lintelligence rusée. La mètis des grecs. Flammarion,
1974.
DORAY, Pierre; MAROY, Christian. La construction des relations entre économie et éducation: lexemple de la
formation en alternance, Éducation et sociétés, 7, p. 51-65, 2001.
ÉLIAS, Norbert. La société de cour, Flammarion, (1974) 1985.
FORQUIN, Jean-Claude. Sociologie du curriculum. Presses Universitaires des Rennes, 2008.
FOURDRIGNIER, Marc. Alternance et professionnalisation : le cas des métiers du social. Marché et
organisations, vol. 5, no. 3, p. 79-100, 2007.
FOURDRIGNIER, Marc. L’alternance dans les formations sociales. Éducation Permanente, 190, p. 91-101, 2012.
GEAY, André. Lécole de lalternance. L’Harmattan, 1998.
GOETHE, Johann-Wolfgang Von. Les années d'apprentissage de Wilhem Meister. Aubier-Montaigne, 1794.
INGOLD, Tim. Prêter attention au commun qui vient. Conversation avec Martin Givors & Jacopo Rasmi.
Multitudes, 3, n 68, p. 157-169, 2017.
LAINÉ, Armelle; MAYEN, Patrick. (Dir.) Valoriser le potentiel d'apprentissage des expériences
professionnelles: Repères, démarches et outils pour accompagner l'apprenant en formation par
alternance. Éducagri éditions, 2019.
LENOIR, Christian. Formations par l'alternance, enjeux et ambiguïtés. Actualité de la formation permanente, 124,
p. 15-24, 1993.
MANGEZ, Éric; FORQUIN, Jean-Claude. Sociologie du curriculum. Revue française de pédagogie, 168, p. 143-
145, 2009.
MAZAURIC, Vincent. Pour une intervention sociale personnalisée. Informations sociales, vol. 201, no. 1, p. 3-3,
2020.
MERTON, Robert. Éléments de théorie et de méthode sociologique. Plon, 1965.
MORIN, Edgar. Introduction à la pensée complexe. Seuil, 2014.
PASCAL, Henri. Histoire du travail social en France, De la fin du XIXe siècle à nos jours. Presses de lEHESP,
2014.
PINEAU, Gaston. La formation expérientielle en auto-, éco- et co-formation. Éducation permanente, 100-101, p.
23-30, 1989.
PINEAU, Gaston. Temporalités en formation. Vers de nouveaux synchroniseurs. Anthropos, 2000.
PINEAU, Gaston. Respirer sa vie: déverrouiller l’apprentissage des rythmes vitaux. Éducation Permanente, 163,
p. 111-130, 2005.
SCHWARTZ, Yves. Un bref aperçu de l’histoire culturelle du concept dactivité, Activités, p.122-133, 2007.
TANGUY, Lucie. Lintrouvable relation formation-emploi. Un état des recherches en France, La Documentation
française, 1986.
VANDERPOTTE, Gérard. Une fonction importante de l'entreprise, la production de compétences. Actualité de la
formation permanente, 119, p. 21-23, 1992.
VIGARELLO, Georges. Les recherches de Jean-Claude Forquin: actualité et influences. Revue française de
pédagogie, volume 135, 2001. Culture et éducation: Colloque en hommage à Jean-Claude Forquin. p. 15-18,
2001.
ZAOUANI-DENOUX, Souâd. La formation en alternance. Effectuation, itinéraire et construction de soi. Savoirs, vol.
26, no. 2, p. 61-83, 2011.
Data da submissão: 11/09/2022
Data da aprovação: 13/09/2022